
Max¹ arrive aux urgences avec sa maman. Il est agité et ne souhaite pas quitter le distributeur de boissons et de friandises. Il fait un caprice, au pied de l'appareil. J'observe cette scène qui se répète souvent en temps normal et j'attends derrière la vitre d'accueil.
À cette heure de la journée, personne n'attend aux urgences.
Sa maman s'impatiente, perd franchement son calme et le traine par le bras jusqu'au guichet.
Je tends un masque à l'enfant et lui explique que la machine est cassée et qu'il ne pourra pas obtenir la boisson au cola qu'il a exigée de sa mère. Max retrouve petit à petit son calme.
Il me dévisage du regard.
Ses yeux sont d'un bleu déroutant et sa blondeur éclaire l'environnement d'accueil que j'ai volontairement assombri en cette fin de journée. Il est 18h et je termine mon service dans une heure. J'aime travailler dans le sombre et je joue avec le variateur de lumière du box d'accueil à quelques heures de la fin.
- Que t'arrive-t-il Max ? Pourquoi viens-tu aux urgences ? Tu t'es fait mal ?
C'est sa maman qui me répond.
- J'ai besoin de voir le docteur R. Ce sont les gendarmes qui m'envoient.
Docteur R. : les frissons me traversent le dos, de haut en bas.
L'enfant me fixe toujours, il ne me quitte pas des yeux. Il connaît docteur R. : il l'a déjà vue.
Mes gestes s'automatisent alors : la frappe de la date de naissance, la vérification des informations sur l'enfant, la validation de l'arrivée et l'annonce à l'infirmière.
Max et sa maman sont immédiatement invités à entrer dans le bureau d'accueil infirmier.
Toujours devant mon écran, et poussé par une curiosité que je ne contrôle pas, j'observe les notes que tape l'infirmière en direct sur l'écran. Lettre après lettre, ligne après ligne et avec le visage de Max, en filigrane sur mon fond d'écran, avec ses yeux bleus qui me fixent, je lis.
L'impossible apparaît alors, illustré par des mots d'enfant, d'un enfant de 4 ans qui avoue à l'infirmière que son papa l'aime trop. Je garderai pour moi, à tout jamais je pense, les détails qui s'en sont suivis.
C'est la main de ma collègue sur mon épaule qui m'a rappelé qu'il était l'heure de partir.
- Tu n'aurais pas dû lire, me souffla-t-elle tendrement à l'oreille, tu dois être fort pour travailler aux urgences. Cette force, tu l'acquerras avec notre aide, avec le soutien de toute l'équipe soignante. Demain, tu penseras encore au petit Max, mais tu penseras aussi à sa maman et la capacité qu'elle a eue de venir en aide à son fils et à sa capacité d'aller à l'encontre de l'emprise de son mari. Elle a pris la décision de faire voler en éclats la fameuse homéostasie familiale. Préserve-toi David, et fais-le vite.
Ce soir-là, j'ai traversé le couloir des urgences en scrutant au travers des hublots de chaque box, plus de 25, en vain.
Je sais que ma place est ici aux urgences et que, quelles que soient les situations rencontrées au quotidien, je serai entouré de collègues aidants, bienveillants et soudés.
Quant à toi petit Max, sache que je t'ai menti : le distributeur fonctionne parfaitement et maman aurait pu te payer la boisson que papa aime t'offrir en récompense ...
¹ prénom d'emprunt